DES DÉBATS À LANCER DES THÈMES À APPROFONDIR (Le Devoir, 3 septembre)

par Benoît Lévesque, Marilyse Lapierre, Michel Doré, Yves Vaillancourt
3 septembre 2009 Article publié dans: | Délibération publique

Au terme d’une vingtaine d’années qui ont vu l’échec du communisme et le déclin, pour ne pas dire l’impasse du néolibéralisme, une fenêtre s’est ouverte pour qu’une réflexion en profondeur soit menée sur les conditions du renouvellement de la pensée et de l’action social-démocrate au Québec.

Il faudra réfléchir à la composition de la base sociale sur laquelle cette social-démocratie renouvelée pourra se construire. De même, pour ne pas avoir suffisamment pris en compte la question nationale québécoise, la social-démocratie n’y a jamais connu une pénétration significative.

Au terme d’une vingtaine d’années qui ont vu l’échec du communisme et le déclin, pour ne pas dire l’impasse du néolibéralisme, une fenêtre s’est ouverte pour qu’une réflexion en profondeur soit menée sur les conditions du renouvellement de la pensée et de l’action social-démocrate au Québec.

Il faudra réfléchir à la composition de la base sociale sur laquelle cette social-démocratie renouvelée pourra se construire. De même, pour ne pas avoir suffisamment pris en compte la question nationale québécoise, la social-démocratie n’y a jamais connu une pénétration significative.

1) La base sociale

Au départ, une formation social-démocrate repose sur une base sociale large et disposée à soutenir des réformes progressistes. Quelle sera la composition d’une telle base dans nos sociétés diversifiées et fragmentées ? Les partis sociaux-démocrates ont été plus ou moins partagés entre leurs relations avec les syndicats, et des efforts pour s’arrimer aux nouveaux mouvements sociaux et aux classes moyennes salariées. Ces mouvements sont d’ailleurs plus fragmentés que ne l’était le mouvement ouvrier. Font aujourd’hui partie du décor non seulement la diversité des communautés d’appartenance, mais aussi celle impulsée par les nouveaux arrivants et les nouvelles générations, à quoi s’ajoute un vieillissement marqué de la population. La question du type de rapports que la social-démocratie doit ou peut entretenir avec les syndicats, les mouvements sociaux, dont le féminisme, et avec les groupes faiblement organisés est donc posée.

2) Les valeurs

Les valeurs traditionnelles de la social-démocratie, l’égalité, l’attachement aux libertés, la solidarité et la démocratie, doivent continuer de l’inspirer. Mais pour correspondre aux sensibilités présentes, elles ont besoin d’être renouvelées dans leur contenu et dans leur rapport aux autres valeurs.

Ainsi, il y a un équilibre à trouver entre les valeurs d’égalité et d’équité, d’autant qu’il faut désormais composer avec la reconnaissance des différences. La pratique de la solidarité demeure l’ingrédient indispensable pour créer des liens sociaux, permettre le « vivre-ensemble » et relever de nouveaux défis en termes de cohésion sociale. Or de nouvelles valeurs sont apparues : qualité de vie, conciliation du travail et de la vie familiale, environnement, tolérance, créativité, convivialité, résolution pacifique des conflits, individualisme vu comme outil de réalisation personnelle.

Les valeurs sociales-démocrates peuvent-elles cohabiter et se métisser avec ces nouvelles valeurs ? Et quelle place faut-il accorder à celles davantage traditionnelles comme la sécurité, la tradition, la responsabilité et la compassion ? Comment aussi prendre en compte les valeurs libérales de liberté individuelle, de compétence, d’efficacité, d’esprit d’entreprise ? Au moins deux grandes questions peuvent être retenues comme point de départ pour cette réflexion : comment renouveler les valeurs à la base de l’expérience social-démocrate et comment y intégrer les nouvelles valeurs qui soutiennent des aspirations légitimes ?

3) La société et le rôle de l’État

La crise actuelle appelle à réaliser un saut qualitatif comme dans les années 1930, avec l’État-providence, la reconnaissance des syndicats, la mise en place d’une économie mixte et la réduction des inégalités. Face à une telle urgence, il s’agit de mettre en place des mesures rapides pour soulager les victimes et de penser des réformes et un nouvel encadrement du capitalisme. La démocratie représentative traverse une crise grave, comme le révèle le niveau croissant d’abstention. Le cynisme ambiant et la dévalorisation de la fonction politique ne sont certes pas un signe de santé démocratique. Il faudrait donc faire une place plus grande à la démocratie participative. Le défi consiste à mettre à contribution la participation non seulement des individus comme citoyens, mais des citoyens organisés à travers les associations et les autres composantes de la société civile.

Il est urgent de poser, mais en des termes nouveaux, la question nationale dans son rapport au renouvellement de la social-démocratie. Cette question à double volet pourrait constituer un axe de recherche et de réflexion en soi, d’autant plus que l’expérience québécoise montre que la social-démocratie a échoué, à plus d’une occasion, lorsqu’elle a refusé de s’ouvrir à cette interpellation.

4) La régulation des conflits Les compromis sociaux sont plus difficiles à obtenir. Ils s’imposent néanmoins puisque sans eux, l’État et la société seraient voués à des affrontements violents ou à des blocages. Le multipartisme fait entrer les diverses composantes de la société civile comme parties prenantes de la résolution des conflits et donc dans la construction de compromis institutionnalisés qui seraient le résultat de négociations. Comment arriver à de nouveaux compromis sociaux sans un renforcement de la démocratie délibérative, l’établissement d’un diagnostic sociétal largement partagé, la recherche d’une sorte de contrat social, le développement de la solidarité et d’engagements altruistes et l’accroissement des responsabilités individuelles et collectives ?

Si l’État est seul à assumer la fonction de régulation de manière efficace avec son pouvoir de coercition, il ne peut plus, désormais, définir l’intérêt général de manière isolée. Le travail des autorités publiques devient ainsi plus important, plus exigeant et plus périlleux. Si l’intérêt général ne peut être imposé d’en haut par l’État seul, ne peut-il pas émerger à la manière d’une construction conjointe dans laquelle l’État travaillerait en collaboration avec les acteurs de la société civile et du monde du travail ?

5) Les mécanismes institutionnels

La théorie keynésienne a légitimé une certaine conciliation du social et de l’économique qui a favorisé l’existence d’un cercle vertueux où les dépenses sociales, la redistribution et les augmentations de salaires alimentaient la croissance et la création d’emploi. Cela est aujourd’hui remis en question.

La recherche, l’environnement social et culturel, l’éducation et le maintien de la cohésion sociale représentent désormais des investissements sociaux générateurs de fortes retombées économiques. Les politiques sociales visent à réparer les dégâts du passé, mais surtout à préparer les citoyens aux défis de demain. En témoignent fort bien les initiatives québécoises en matière de politique sociale familiale. Les organisations patronales et syndicales peuvent nouer de nouveaux rapports, adopter de nouvelles formes d’organisation du travail, assumer la prise en charge conjointe des questions de productivité et de qualité des biens et services. Un compromis social impliquant une grande diversité d’acteurs à travers une démocratie et une économie plurielles devient alors nécessaire. Ce modèle repose non seulement sur les entreprises privées et les entreprises publiques, mais aussi sur des entreprises et des organisations relevant de l’économie sociale et, plus largement, de la société civile. Désormais, le développement économique ne saurait plus dépendre que du marché et le développement social n’être vu que relié à des dépenses.

Notre proposition met en avant des mesures et des politiques qui permettraient à une formation social-démocrate, ou à des groupes s’inspirant de cette pensée, d’enclencher des changements en direction d’une social-démocratie renouvelée. Pensons à la question de l’emploi et de l’employabilité, aux services collectifs de type universel et à la manière dont ils pourraient tenir compte des différences de besoins, au partage de la richesse pour réduire les inégalités, aux mécanismes institutionnels pour la régulation de l’économie de marché, à un code du travail favorable à la syndicalisation, à la protection des consommateurs et de l’environnement, aux dépenses publiques pour stimuler l’économie, au soutien de l’économie plurielle.

6) Une autre mondialisation

Il serait difficile aujourd’hui de maintenir l’État-providence dans un seul pays. Il apparaît donc impératif d’établir des alliances avec les régimes politiques désireux de s’inscrire également dans des politiques relevant de la social-démocratie renouvelée, et cela sans oublier les pays du Sud. Dans cette perspective, la social-démocratie renouvelée ne doit-elle pas s’inscrire dans une autre mondialisation, de manière à transformer celle qui s’est – ou nous a été – imposée jusqu’ici ? Ne s’agirait-il pas d’être moins contre la mondialisation que d’être pour une autre mondialisation ?

7) Le modèle de développement

Si la social-démocratie renouvelée compte relever le défi de la crise écologique, ne doit-elle pas s’inscrire dans une approche marquée au coin du développement durable en opérant une rupture avec une idéologie productiviste et l’adoption d’une vision prenant en compte le long terme et les générations futures ? Il s’imposerait aussi de développer des solidarités avec les plus démunis d’ici et d’ailleurs. Cette approche du développement soutenable et plus équitable exigera de revoir en profondeur nos modes de consommation et de production.

Un débat nécessaire

Les idées, les principes et les valeurs qui fondent la social-démocratie devront nécessairement, avant de se traduire en politiques concrètes, faire l’objet dans la société québécoise d’un large débat auquel sont conviées toutes les forces vives qui croient que le progrès social est possible, qu’il est aussi possible de faire autrement que suivre la pente funeste du néolibéralisme. De là la nécessité d’ouvrir ce vaste chantier pour que prenne forme au Québec une social-démocratie ajustée aux temps présents.

Le présent texte est un condensé du document de travail qu’on trouve à l’adresse suivante : http://www.oikosblogue.coop/?p=332.




Présentation de la coalition

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La réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie sera portée dans le cadre d’une aventure intellectuelle originale. Un consortium de recherche va se concerter pour conduire durant toute l’année des travaux qui prendront en charge l’un ou l’autre des grands questionnement soulevés par le texte de référence lancé par Benoît Lévesque, Michel Doré, Marilyse Lapierre et Yves Vaillancourt. Co-responsables, sous la coordination de l’Institut de recherche en économie contemporaine (Robert Laplante), de la mise en œuvre d’une programmation de travail qui fera une large place aux échanges et aux débats entre chercheurs et acteurs de la société civile, les membres et participants de ce consortium de recherche seront appelés à faire paraître sur le site Internet des textes faisant état de l’avancement de la réflexion. Divers événements vont ponctuer le parcours qui devrait déboucher sur un grand rendez-vous public à l’automne 2010. Le consortium est formé des membres suivants : le CÉRIUM (Pascale Dufour), la Chaire du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie (Joseph-Yvon Thériault, titulaire), l’Observatoire de l’Administration publique ( Louis Côté, directeur), les Éditions Vie Économique (Gilles Bourque, coordonnateur) et de deux équipes de partenaires, dont l’une réunie autour de Denise Proulx, de GaïaPresse, et Lucie Sauvé, de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative en environnement, et l’autre rassemblée autour de Christian Jetté de l’Université de Montréal et Lucie Dumais de l’UQAM.

 


Agenda

 

Editorial

L’importance, pour ne pas dire l’urgence d’organiser la réflexion collective sur l’état de notre démocratie et l’avenir de notre société devrait nous interpeller puissamment. Il se présente en effet des moments qu’il faut saisir dans l’histoire des peuples quand les vieux modèles, épuisés, atteignent leurs limites et conduisent à de nouvelles impasses. Le Québec est rendu à l’un de ses moments.



 



 

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