MOBILISATION SUR LE CLIMAT AUX ÉTATS-UNIS : LES MILIEUX D’AFFAIRES NE SONT PLUS UNANIMEMENT CONTRE L’ADMINISTRATION OBAMA

par Gilles L. Bourque
8 février 2010 Article publié dans: | Rapport à L´environnement

Dans mon texte de la semaine dernière, les derniers mots que j’utilise dans mon texte sur le syndicalisme sont la référence à la poussée réactionnaire de la droite face aux nécessaires changements dans le domaine de l’environnement. Il n’y a pas de lieu où cette poussée est plus évidente qu’aux États-Unis. Plus ça change et plus c’est pareil. Comme dans les années 1930, lors du lancement des grandes réformes progressistes initiées par le New Deal du président Roosevelt, où on avait vu les Républicains faire front commun avec le grand capital pour s’opposer à ce mouvement de changement, le président Obama fait face à la même obstination aveugle contre les nécessaires changements qu’il tente d’amorcer dans les domaines de la santé, des changements climatiques et des lois du travail.

Par exemple, lors du dépôt du projet de réforme pour une nouvelle régulation des marchés financiers, qui repose en très grande partie sur la création d’une nouvelle Agence de protection des consommateurs, le lobby des institutions financières se sont mobilisées pour combattre toutes interventions étatiques intempestives dans le marché. “It’s bad for the consumers,” affirme Steve Bartlett, président de la Financial Services Roundtable, le lobby des 100 plus grandes banques étatsuniennes. Pourtant, la nouvelle agence viserait précisément à protéger les consommateurs des pratiques frauduleuses dans le domaine des hypothèques, des cartes de crédit et des autres produits financiers.

Les banquiers ont tout de suite reçu un appui de la Chambre de Commerce des États-Unis, qui s’est dite vigoureusement opposée à la création de cette agence. Cet appui n’est pas surprenant. La Chambre de Commerce annonçait en même temps une campagne sans précédent de 100 millions de dollars « to defend and advance economic freedom » face à un gouvernement qu’elle compare aux dictatures de l’Asie du Sud-Est !

Le président de la Chambre de Commerce, Tom Donohue, affirme que cette campagne vise à maintenir le statu quo actuel dans une large variété de domaines, en s’opposant aux projets de l’Administration Obama, tels que le marché des permis d’émission de GES, la réforme du système de santé, la régulation du système financier et la taxe sur les entreprises. De plus, en collaboration avec d’autres organisations patronales, il annonce une autre campagne (de 200 millions $ !!!) contre la volonté du gouvernement de faciliter les démarches de syndicalisation des travailleurs étatsuniens (Employee Free Choice Act).

Par ailleurs, conduite par le American Petroleum Institute, et appuyée par des représentant Républicains, une autre campagne anti-Obama s’organise pour imposer le point de vue de l’industrie pétrolière dans les grands médias des États-Unis. Une nouvelle organisation a été mise sur pied pour mener la guerre contre l’administration Obama, The Energy in Depth. Ils ont commencé par s’attaquer personnellement à une démocrate de la Chambre des représentants, Diane DeGette, qui est une critique infatigable des pratiques nuisibles de l’industrie pétrolière et en particulier de ses méthodes d’exploration qui ont des impacts importantes sur l’environnement.

Le « front du refus » de la droite étatsunienne se lézarde

Mais devant l’extrémisme auquel adhère maintenant la Chambre de Commerce des États-Unis, on commence à voir des entreprises quitter le bateau ou s’opposer à la direction réactionnaire qu’elle a prise dans tous les domaines, tant économique, social qu’environnemental. C’est surtout autour de l’enjeu des changements climatiques qu’elle fait face à une levée de bouclier. En quelques semaines, trois des plus grandes entreprises étatsuniennes dans le secteur de la production d’énergie (Exelon, Pacific Gas & Electric et PNM Resources) ont décidé de quitter l’organisation pour ne plus être associées à une organisation qui, non seulement s’oppose à la mise en place de quotas d’émissions de GES sous le prétexte que cela nuirait à la croissance économique, mais nie carrément la réalité des enjeux climatiques.

Alors qu’il s’adressait à une conférence du American Council for an Energy-Efficient Economy (ACEEE), John Rowe, pdg d’Exelon, a déclaré que la campagne de l’organisation était incompatible avec les engagements de l’entreprise dans le domaine des changements climatiques et qu’elle cherchait à ramener les États-Unis à des dizaines d’années en arrière sur le plan du débat scientifique !

Dans une lettre envoyée à la Chambre de Commerce, le pdg de Pacific Gas & Electric, Peter Darbee, écrit : « We find it dismaying that the Chamber neglects the indisputable fact that a decisive majority of experts have said the data on global warming are compelling and point to a threat that cannot be ignored. In our opinion, an intellectually honest argument over the best policy response to the challenges of climate change is one thing ; disingenuous attempts to diminish or distort the reality of these challenges are quite another ». Le pdg de PGE dénonce la position extrémiste de l’organisation qui, selon lui, ne représente pas la vue de la majorité des entreprises membres. C’est pourquoi son entreprise a plutôt décidé de joindre la U.S. Climate Action Partnership qui adopte une position plus constructive sur la question des changements climatiques.

D’autres entreprises, de tous les secteurs d’activités, sont aussi actives pour dénoncer les positions rétrogrades de ceux qui s’opposent à l’administration Obama. Duke Energy, Alstom, Johnson & Johnson et Nike ont pris des positions favorables aux efforts gouvernementaux. Le dirigeant de cette dernière entreprise, Mark Parker, a lui aussi décidé de quitter la Chambre de Commerce, en partie sous la pression des acteurs de la finance responsable (Green Century Equity Fund, Newground Social Investment ainsi que le Basilian Fathers of Toronto) qui demandaient à l’entreprise d’être conséquente avec ses propres engagements en faveur d’un développement plus durable. Comme plusieurs autres firmes, Nike a plutôt décidé d’être active au sein du BICEP (Business for Innovative Climate & Energy Policy) pour contrecarrer les opposants aux réformes.

Comme le déclare son président, « Nike believes US businesses must advocate for aggressive climate change legislation and that the United States needs to move rapidly into a sustainable economy to remain competitive and ensure continued economic growth. »

Une nouvelle coalition d’entreprise contre les changements climatiques

Les entreprises favorables à une politique plus robuste des États-Unis sur les enjeux climatiques ont décidé de créer une coalition pour soutenir l’administration Obama. Alors qu’au Sénat, les sénateurs démocrate John Kerry et républicain Barbara Boxer déposaient le projet de Clean Energy Jobs and American Power Act, la bataille faisait rage de part et d’autre chez les lobbyistes pour favoriser l’issue du vote qui ne devrait pas tarder. C’est dans cette optique que 150 dirigeants d’entreprises provenant de toutes les régions se sont rassemblés sous la houlette de la coalition We Can Lead, récemment créé par le Ceres et le Clean Economy Network.

Les entreprises qui forment cette coalition sont très diversifiées. On y trouve évidemment des entreprises dans le domaine des technologies propres (équipementiers d’énergie solaire et éolienne) mais aussi des entreprises qui se sont solidement positionnées dans le mouvement de la RSE, telles que Apple, Nike et Starbucks. Ces entreprises proviennent de 30 États. Leurs dirigeants affirment qu’une législation sur le climat et un tournant décisif dans le domaine de l’énergie conduiront à une nouvelle révolution industrielle porteuse de millions de nouveaux emplois, révolution que les États-Unis ne peuvent pas laisser à d’autres.

En même temps, deux douzaines de PDG de grandes entreprises — allant de eBay à HP, en passant par Gap et PG&E — ont signé une lettre ouverte pour signifier leur appui au président Obama et au projet de loi Kerry-Boxer. « We are business leaders from companies of all sizes and many sectors calling for your leadership. We call on you to enact comprehensive legislation. ... Now it’s time for the United States Senate to act. ».

Par ailleurs, une autre coalition composée d’entreprises, de syndicats et de groupes environnementaux ont lancé une vaste campagne publicitaire conjointe pour appuyer un vote du Congrès « in support of comprehensive clean energy and climate change legislation ». On retrouve dans cette coalition United Technologies (maison-mère de Pratt & Whitney), Johnson & Johnson, GE, Weyerhauser, Nature Conservancy et le Environmental Defense Action Fund. Comme le souligne John Rowe, PDG de Exelon, « Companies need the legislative certainty to start making the substantial investments needed to jump-start a low-carbon economy and create jobs. »

Donc, contrairement à ce que peut affirmer Gilles Gagné dans son texte critique paru sur le site du Chantier sur le renouvellement de la social-démocratie, il y a bel et bien l’émergence d’un courant plus progressiste à l’intérieur du mouvement patronal avec lequel il sera possible de négocier un nouveau compromis.

Même dans le monde de la finance, le mouvement de la finance responsable représente une force de plus en plus significative qui remet en cause la vision « fondamentaliste » des marchés, prônant plutôt une nouvelle vision où les financiers tiennent compte de critères dits ESG (environnemental, social et de gouvernance) au cœur même de l’analyse financière. Nous en sommes encore qu’au début, mais de toute évidence les financiers s’emparent eux aussi des enjeux du développement durable afin de repenser leur métier.




Présentation de la coalition

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La réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie sera portée dans le cadre d’une aventure intellectuelle originale. Un consortium de recherche va se concerter pour conduire durant toute l’année des travaux qui prendront en charge l’un ou l’autre des grands questionnement soulevés par le texte de référence lancé par Benoît Lévesque, Michel Doré, Marilyse Lapierre et Yves Vaillancourt. Co-responsables, sous la coordination de l’Institut de recherche en économie contemporaine (Robert Laplante), de la mise en œuvre d’une programmation de travail qui fera une large place aux échanges et aux débats entre chercheurs et acteurs de la société civile, les membres et participants de ce consortium de recherche seront appelés à faire paraître sur le site Internet des textes faisant état de l’avancement de la réflexion. Divers événements vont ponctuer le parcours qui devrait déboucher sur un grand rendez-vous public à l’automne 2010. Le consortium est formé des membres suivants : le CÉRIUM (Pascale Dufour), la Chaire du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie (Joseph-Yvon Thériault, titulaire), l’Observatoire de l’Administration publique ( Louis Côté, directeur), les Éditions Vie Économique (Gilles Bourque, coordonnateur) et de deux équipes de partenaires, dont l’une réunie autour de Denise Proulx, de GaïaPresse, et Lucie Sauvé, de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative en environnement, et l’autre rassemblée autour de Christian Jetté de l’Université de Montréal et Lucie Dumais de l’UQAM.

 


Agenda

 

Editorial

L’importance, pour ne pas dire l’urgence d’organiser la réflexion collective sur l’état de notre démocratie et l’avenir de notre société devrait nous interpeller puissamment. Il se présente en effet des moments qu’il faut saisir dans l’histoire des peuples quand les vieux modèles, épuisés, atteignent leurs limites et conduisent à de nouvelles impasses. Le Québec est rendu à l’un de ses moments.



 



 

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