Les signataires de ce texte sont Karel Mayrand, Luc Bouthillier, Alain Fréchette, Corinne Gendron, Paule Halley, Manon Laporte, Laurent Lepage et Michel Montpetit
L’approche traditionnelle de protection de l’environnement a consisté depuis une trentaine d’années à adopter des réglementations qui limitent les émissions polluantes des entreprises. Cette approche a bien fonctionné pour les plus importantes causes de pollution et elle demeure essentielle mais elle comporte des limites importantes et peut dans certains cas s’avérer moins efficace que des approches plus diversifiées.
L’approche réglementaire traditionnelle est devenue lourde pour l’État et les entreprises n’hésitent plus à la contourner en morcelant ou en changeant les dimensions des projets, ou alors en jouant sur l’interprétation des lois et règlements. Dans les faits, bien peu d’entreprises sont mises à l’amende ou poursuivies en raison du manque de ressources consacrées à l’application des lois. Il peut donc être plus rentable pour elles de courir le risque d’être poursuivies ou de payer des amendes que de protéger l’environnement.
Il faut renforcer l’application des lois et des réglementations en augmentant les ressources consacrées à leur application. Ceci créera une imputabilité réelle qui fait présentement défaut au Québec. Par ailleurs, la réglementation fixe souvent des obligations de moyens plutôt que de résultats. Ce faisant, elle ne pousse pas à l’amélioration continue et freine même souvent l’introduction de nouvelles technologies plus vertes.
Il faut aussi améliorer et développer nos approches de protection de l’environnement pour créer davantage d’incitatifs à la performance environnementale et récompenser les entreprises qui vont au-delà des normes obligatoires. Ceci peut être fait en introduisant des instruments économiques et des mécanismes de marché qui vont lancer des signaux clairs dans le marché et permettre d’intégrer les coûts environnementaux dans les coûts de production des entreprises. Une telle réforme créera un incitatif permanent à l’amélioration des pratiques environnementales des entreprises puisque le fait de polluer moins ou d’utiliser moins de ressources aura pour effet direct de réduire leurs coûts de production.
À cet égard, plusieurs entreprises ont entrepris d’améliorer leurs pratiques et leurs modes de gestion de manière volontaire au cours des dernières années. Ce faisant, elles anticipent l’introduction de nouvelles réglementations et répondent également aux signaux lancés par les consommateurs, les actionnaires, les marchés financiers, la société civile, et leurs administrateurs. Les initiatives volontaires sont aussi motivées par la réduction coûts de production, l’amélioration de l’image corporative et une volonté d’agir comme des citoyens corporatifs responsables.
L’adaptation des entreprises aux nouvelles règles du jeu du développement durable n’est plus un choix : elle est devenue une nécessité pour être concurrentielles sur les marchés internationaux. Les entreprises québécoises tirent de l’arrière à cet égard. Elles doivent être encouragées et accompagnées à adhérer à des codes de conduite et certifications volontaires internationales et à adopter des stratégies innovatrices de développement durable.
De plus, le Québec a pris du retard dans le marché des technologies vertes qui est en plein essor dans le monde, avec des leaders comme la Californie et certains pays d’Europe, ou les normes environnementales sont plus avant-gardistes. Ce marché est l’un de ceux ayant la plus forte croissance dans le monde, avec une valeur globale estimée à 1000 milliards de dollars en 2010, mais les entreprises québécoises ne trouvent pas ici les conditions propices à leur expansion.
Dans bien des cas, des technologies sont prêtes à être déployées mais des barrières réglementaires et l’absence d’incitatifs économiques et fiscaux bloquent leur introduction. Le rehaussement des normes environnementales québécoises, l’écofiscalité et un soutien de l’État à ce secteur sont nécessaires au développement d’un secteur de pointe qui pourrait s’avérer un tremplin permettant de diversifier l’économie du Québec et de ses régions ressources.
Prévoir et atténuer le risque climatique
L’économie québécoise, nos écosystèmes et nos infrastructures s’appuient sur l’existence d’un climat stable et prévisible. Le réchauffement de la planète et le changement climatique qui en résulte introduisent un niveau de risque et d’incertitude qui va très certainement peser lourdement sur notre croissance future, comme le rapport Stern et bien d’autres l’ont démontré. Selon Nicholas Stern, dans l’hypothèse du laisser-faire, le PIB mondial pourrait subir une baisse de 20 % d’ici la fin du siècle.
On sait maintenant que les régions tempérées et nordiques du globe seront parmi celles qui devront subir les impacts les plus importants du changement climatique. Le Québec se trouve à l’épicentre de ces régions. Déjà les effets du changement climatique se font sentir dans le Nord du Québec où la fonte du pergélisol affecte les routes et autres infrastructures. Il affecte également le mode de vie traditionnel de milliers d’autochtones, particulièrement des Inuit.
Au cours des deux prochaines générations, les impacts du changement climatique se feront sentir sur le bassin du Saint-Laurent et des Grands Lacs avec des effets croissants sur la navigation, les espèces et les communautés riveraines. Plus de 80% de la population québécoise vit sur les berges du Saint Laurent et un Québécois sur deux y prélève son eau. En affectant le Saint-Laurent, le changement climatique frappera au cœur même du Québec.
Le risque climatique affectera également les potentiels hydrauliques et éoliens dans plusieurs régions du Québec. Aussi, le réchauffement de notre climat va faciliter la migration d’espèces exotiques envahissantes qui vont affecter nos ressources forestières et nos écosystèmes. On anticipe également une augmentation des feux de forêts. Des études prévoient également l’introduction de nouveaux virus qui migreront vers le nord en suivant les courbes de températures.
La multiplication des événements météorologiques extrêmes comme les vagues de chaleur, les inondations, les sécheresses et les tempêtes de toutes sortes aura également une incidence importante sur les infrastructures urbaines et la santé des populations. On peut également envisager une hausse importante des pertes assurables suite à ces événements. Déjà la tempête de verglas a montré la vulnérabilité de nos systèmes et de nos infrastructures. Partout dans le monde, les assureurs commencent à couvrir le risque climatique par des surprimes.
Un rapport récent du Conference Board du Canada souligne l’urgence de développer les capacités d’adaptation des entreprises privées et du secteur public face au changement climatique. Ceci implique de considérer systématiquement l’effet des risques climatiques sur les politiques publiques, les infrastructures urbaines, la production énergétique et les projets de développement économique. Les communautés, les économies et les entreprises qui réussiront le mieux à négocier le virage de l’adaptation au changement climatique seront parmi les plus prospères et stables au cours du prochain siècle.
Or l’État et les entreprises québécoises disposent de peu d’outils pour mesurer l’impact du changement climatique et ses incidences financières et autres, ainsi que pour gérer le risque climatique, développer des stratégies d’adaptation efficace et réagir à des urgences de nature nouvelle. Cette situation est préoccupante quand on connait l’importance historique du climat et des écosystèmes dans le développement de l’économie, de la société et de la culture québécoise. Le génie du changement climatique est sorti de la bouteille et il est temps d’en prendre acte.
Repenser notre développement urbain
Ce manifeste ne peut passer sous silence les enjeux du développement urbain qui sont fondamentaux pour notre avenir. Le processus d’étalement urbain qui est en cours depuis plusieurs décennies soulève plusieurs problématiques sociales, environnementales et économiques dont les coûts vont augmenter en flèche au cours de la prochaine génération. [% québécois urbanisés]
Au plan économique, l’engorgement des axes routiers dans la région métropolitaine est en voie de se transformer en véritable goulot d’étranglement pour l’économie du grand Montréal. Selon Transport Canada, les coûts de la congestion routière ont atteint 779 millions de dollars en 2004. Le réseau routier montréalais a atteint son point de saturation alors que le parc automobile métropolitain s’est accru de 10% entre 1998 et 2003 et où s’ajoutent annuellement 26000 nouveaux véhicules.
À cela s’additionnent les coûts de maintien et de développement du réseau routier qui dépassent la capacité d’investissement de l’État québécois. La productivité de l’économie montréalaise est remise en question par l’étalement urbain et le Québec doit changer radicalement d’approche en ce qui a trait à l’aménagement des zones urbaines et du transport.
Au plan social, les coûts de santé occasionnés par des épisodes plus fréquents de smog urbain vont aussi augmenter en flèche avec le vieillissement de la population et donc de la prévalence de certaines maladies respiratoires. Entre 1999 et 2005, le nombre de journées annuellement où la qualité de l’air était jugée mauvaise est passé de 37 à 66. Santé Canada et Environnement Canada estiment déjà que le nombre de décès prématurés attribuables à la pollution de l’air serait de 1540 cas par année à Montréal.
Déjà une corrélation a été observée entre les épisodes de smog urbain et l’affluence dans les salles d’urgence montréalaises. Cette affluence va occasionner une pression croissante sur notre système de santé au cours des prochaines décennies, exerçant une pression supplémentaire sur les finances publiques.
Il convient de mentionner que près des deux tiers du smog observé à Montréal et à Québec provient du centre des États-Unis et de l’Ontario, comme ce fut le cas par le passé pour les pluies acides. Dès lors que le Québec se sera attaqué à sa propre pollution, il sera plus crédible pour interpeller ses voisins pour protéger la santé des Québécois.
Le rôle de l’étalement urbain et du transport dans le bilan québécois d’émissions de Gaz à effet de serre (GES) ne peut plus être passé sous silence. Le transport représente près de 40% des émissions québécoises de GES. L’engagement du Québec envers la lutte aux changements climatiques portera réellement fruit lorsque l’on s’attaquera au couple transport/étalement urbain.
Le développement incontrôlé des zones urbaines et du transport depuis plusieurs générations est le fruit des incitatifs et contre-incitatifs économiques créés par un cadre fiscal inadéquat et par un manque de planification politique à long terme. Le manque d’investissements dans le transport en commun combiné à des investissements soutenus dans l’extension du réseau routier n’ont fait qu’aggraver l’étalement urbain et l’utilisation de l’automobile comme premier moyen de transport.
Notre développement urbain a atteint un cul-de-sac social, économique et environnemental. Il est temps de revoir l’ensemble des incitatifs socio-économiques qui poussent les Québécois à faire individuellement les choix qui nous mènent à ce cul de sac collectif. Les coûts d’accès à la propriété, le coût du logement, l’accès gratuit aux autoroutes, les taxes municipales, l’augmentation des coûts du transport en commun et l’offre trop limitée d’options de transport collectif contribuent tous à créer les conditions perdantes de notre développement urbain.
On nous opposera que l’on ne peut obliger les Québécois à abandonner un mode de vie qu’ils ont librement choisi. Parions que si l’on offrait la possibilité aux Québécois de travailler plus près de leur résidence, de passer plus de temps en famille et de se déplacer plus librement tout en accédant à la propriété, plusieurs saisiraient cette opportunité. Déjà des villes comme Londres, Lyon, Portland ou Vancouver ont innové à cet égard. À quand notre révolution urbaine ?
Donner le pouvoir aux citoyens
Depuis deux générations, les Québécois ont délégué à l’État la responsabilité de protéger leur environnement en leur nom. Sans occulter le rôle de l’État qui demeure fondamental, nous croyons que le temps est venu pour les citoyens d’exercer directement leur responsabilité dans la protection de leur environnement.
Déjà les Québécois se regroupent dans toutes les régions du Québec pour protéger leurs lacs, leurs rivières, leurs forêts et leurs paysages. Des centaines d’associations locales ont été formées par des citoyens soucieux de préserver leur héritage naturel et, ce faisant, leur qualité de vie et celle de leurs enfants. Ces associations témoignent de la volonté des Québécois de prendre en main eux-mêmes leur patrimoine et leurs ressources. Il faut leur en donner les moyens.
Afin d’exercer cette responsabilité, les citoyens ont besoin d’une meilleure information environnementale, c’est-à-dire de données sur l’état de leur environnement. Ces données sont souvent inexistantes ou inaccessibles. Le Québec ne produit pas de manière systématique des indicateurs de qualité de l’environnement ou des rapports régionaux ou nationaux sur la qualité de l’environnement. Il faut donner aux citoyens l’information environnementale qui leur permettra d’exercer leur eco-citoyenneté.
L’exercice de l’eco-citoyenneté passe par une décentralisation de la prise de décision pour la rapprocher du citoyen. Il faut également consulter les citoyens, notamment les populations autochtones, lors de la conception d’un projet plutôt que les informer au moment de son lancement, comme c’est trop souvent le cas. Les citoyens ne veulent plus seulement être informés, ils veulent prendre part aux décisions qui affectent leur qualité de vie.
Les citoyens doivent également pouvoir entreprendre des recours juridiques ou administratifs. Force est de constater qu’à ce jeu ils ne peuvent lutter à armes égales avec les promoteurs ou l’État. Les coûts de ces recours pour des citoyens ou des associations sont souvent prohibitifs, notamment lorsque l’on doit faire appel à de l’expertise environnementale. Ces coûts, qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers de dollars, agissent comme une barrière financière à l’exercice de droits environnementaux. Un fond doit être créé pour lever cette barrière.
Finalement, le citoyen est aussi consommateur et investisseur. L’impact du pouvoir d’achat des citoyens sur les entreprises et le marché constitue un levier supplémentaire d’exercice de la citoyenneté. Un dollar dépensé est l’équivalent d’un vote dans un marché en constante évolution, La croissance des ventes de produits biologiques, équitables ou durables, ainsi que de l’investissement éthique depuis une décennie ne sont que le début d’un mouvement qui est en voie de se généraliser.
Malheureusement, les citoyens n’ont pas toujours accès à une information leur permettant de faire des choix de consommation durable. Entre les campagnes de publicité retentissantes et les discrètes campagnes d’information et d’éducation, des pressions contradictoires s’exercent qui ralentissent les changements d’habitude de consommation. Il faut appeler nos concitoyens à voter avec leur portefeuille et mieux encadrer les initiatives de consommation responsable.
(À suivre : Cinq solutions à mettre de l’avant)
On trouve la version complète du document sur le site du Manifeste pour un Québec durable
NOUVEAU : Pour vous inscrire et recevoir tous les nouveaux numéros de la veille sur la social-démocratie dès sa sortie, merci d’écrire à l’adresse suivante :
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La réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie sera portée dans le cadre d’une aventure intellectuelle originale. Un consortium de recherche va se concerter pour conduire durant toute l’année des travaux qui prendront en charge l’un ou l’autre des grands questionnement soulevés par le texte de référence lancé par Benoît Lévesque, Michel Doré, Marilyse Lapierre et Yves Vaillancourt. Co-responsables, sous la coordination de l’Institut de recherche en économie contemporaine (Robert Laplante), de la mise en œuvre d’une programmation de travail qui fera une large place aux échanges et aux débats entre chercheurs et acteurs de la société civile, les membres et participants de ce consortium de recherche seront appelés à faire paraître sur le site Internet des textes faisant état de l’avancement de la réflexion. Divers événements vont ponctuer le parcours qui devrait déboucher sur un grand rendez-vous public à l’automne 2010. Le consortium est formé des membres suivants : le CÉRIUM (Pascale Dufour), la Chaire du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie (Joseph-Yvon Thériault, titulaire), l’Observatoire de l’Administration publique ( Louis Côté, directeur), les Éditions Vie Économique (Gilles Bourque, coordonnateur) et de deux équipes de partenaires, dont l’une réunie autour de Denise Proulx, de GaïaPresse, et Lucie Sauvé, de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative en environnement, et l’autre rassemblée autour de Christian Jetté de l’Université de Montréal et Lucie Dumais de l’UQAM.
L’importance, pour ne pas dire l’urgence d’organiser la réflexion collective sur l’état de notre démocratie et l’avenir de notre société devrait nous interpeller puissamment. Il se présente en effet des moments qu’il faut saisir dans l’histoire des peuples quand les vieux modèles, épuisés, atteignent leurs limites et conduisent à de nouvelles impasses. Le Québec est rendu à l’un de ses moments.