1. LE DÉFI
> Un nouveau paysage politique – marqué par l’accélération de la mondialisation, le passage de la société industrielle à la société informationnelle fondée sur la maîtrise des savoirs et de la technologie, l’approfondissement de la dynamique démocratique qui génère une forte aspiration à l’autonomie et une multiplication des acteurs collectifs, la rupture démographique qui entraîne le vieillissement de la population, l’approfondissement de la crise écologique et la persistance de fortes contraintes financières et budgétaires – rend l’exercice du gouvernement beaucoup plus complexe et oblige les États à revoir leur rôle et leurs modalités d’intervention.
> Pour les sociétés comparables au Québec – petite population, niveau de vie élevé, forte intégration à l’économie mondiale, État-providence fortement développé, culture politique égalitariste –, le défi consiste plus précisément à répondre, de façon durable, aux exigences conflictuelles de la compétitivité et de la solidarité sociale.
> Plusieurs de ces sociétés ont relevé le défi en prenant le virage d’une gouvernance partagée. Délaissant l’approche hiérarchique, l’État s’y fait plus stratège tout en s’ouvrant davantage à la participation citoyenne.
> Au Québec, des actions sectorielles se poursuivent, mais le virage tarde. La société civile est effervescente et de nombreux débats sont soulevés, mais ils demeurent fragmentés et il n’y a pas de consensus sur le diagnostic, encore moins sur les mesures à adopter. De plus, les programmes des partis politiques offrent peu de pistes de renouvellement. Il se dégage de cette situation un sentiment d’immobilisme.
2. L’ORIENTATION : UNE GOUVERNANCE PATAGÉE
2.1 Des arrangements institutionnels favorisant une formulation commune des problèmes, la négociation et l’arbitrage
> Créer une structure de gouvernance, des arrangements institutionnels qui, favorisant une formulation commune des problèmes socio-économiques, la reconnaissance des intérêts légitimes et la négociation entre acteurs autonomes, permet une adaptation constante, simultanée et intégrée des différents secteurs à l’évolution de la société et de son environnement. Il s’agit d’édifier un consensus procédural.
> Le processus délibératif pouvant conduire à une compréhension partagée des problèmes socio-économiques et à la reconnaissance des intérêts légitimes exige des institutions (universités, boîtes à idées, commissions, conseils, services d’analyse gouvernementaux ou ministériels) qui anticipent les problèmes et créent le langage théorique et empirique permettant de les formuler et de les faire largement connaître. Cette fonction discursive et de politification (de mise à l’agenda politique) permet de transformer des questions spécifiques en défis collectifs tout en facilitant la reformulation des préférences et des intérêts par leur insertion dans une compréhension commune de la situation. Au fond, il s’agit de revaloriser le politique comme lieu délibératif de la construction de la société, du vivre ensemble, du collectif et du bien commun.
> Le processus de négociation pouvant conduire à des accords, sur base de compromis, permettant de résoudre les problèmes posés exige également des institutions de concertation et d’arbitrage. Une telle intégration des acteurs collectifs permet de les rendre co-responsables du développement et de l’adaptation de leur société : ils peuvent ainsi valider leurs intérêts spécifiques dans un horizon d’intérêts mutuels, évaluer leurs intérêts à court terme en regard des conséquences à long terme et négocier des accords sociaux et des politiques publiques. Les partenaires sociaux peuvent ainsi être amenés à lier politique redistributive (revenus, retraites, sécurité sociale, taxes et impôts), objectifs de productivité (pour les secteurs public et privé), et développement durable, à déterminer d’un commun accord les limites des coûts supportables pour l’ensemble de l’économie à court et à long terme et à formuler une stratégie nationale concernant les changements structurels à apporter.
> Une telle façon de faire, une telle approche procédurale, peut permettre de dépasser les limites du corporatisme (néo-corporatisme). Non seulement le privilège de la participation est ouvert à de nombreux intérêts organisés au-delà des mondes syndical et patronal, mais le processus délibératif qui s’ajoute peut permettre la reformulation des préférences et des intérêts et faciliter l’élaboration d’un monde commun. L’intérêt général est ici perçu comme étant à construire.
> De tels arrangements institutionnels et de telles pratiques sont spécifiques aux économies dites économies de marchés sociales et les distinguent des économies de marché libérales. Dans ces dernières, le marché constitue le principal mécanisme de régulation et de coordination sociale. Les syndicats et les mouvements sociaux y sont moins puissants, la concertation moins présente et les conditions de vie y ont tendance à être plus polarisées. Dans les économies de marché sociales, les acteurs sociaux sont mieux organisés et le changement a tendance à être négocié. En principe, ces économies peuvent sembler plus rigides, moins susceptibles de s’adapter rapidement aux nouveaux contextes puisqu’elles fonctionnent à la négociation et aux compromis. En pratique, elles vivent le changement de façon exceptionnelle, s’appropriant de nouvelles pratiques et de nouvelles politiques mais dans un cadre de concertation. Les ajustements sont négociés dans le cadre de pactes sociaux qui, sur la base de compromis, permettent de relever les défis posés entre autres par la mondialisation et les changements démographiques tout en préservant l’égalité et la justice sociale. Elles arrivent à concilier développement économique et réduction de la pauvreté et des inégalités.
> Plusieurs pays européens de petite taille (Danemark, Finlande, Suède, Irlande, Belgique, Pays-Bas) connaissent aujourd’hui ces pactes socioéconomiques qui diffèrent des accords néo corporatistes qui prévalaient dans les années 1960 et 1970. Centrés tout autant sur l’offre (avantages concurrentiels) que sur la demande (partage des revenus), ces pactes prennent en compte l’augmentation de la concurrence à l’échelle mondiale. Ils lient ententes salariales, spécialisation de la main d’œuvre, contrôle des dépenses publiques, réformes de la taxation et de l’assistance sociale. L’Irlande est un bon exemple de pays ayant transformé en profondeur son mode de gouvernance. En effet, expérimentant depuis le milieu des années 1990 une approche consensuelle qui s’inspire des pratiques des démocraties des pays du Nord de l’Europe, l’Irlande connaît depuis lors un type de croissance économique traditionnellement associé à ces pays. Pour un pays comme le Danemark, il s’est agi d’un passage d’une gouvernance publique – qui se fonde sur l’administration directe et la propriété publique et a recours à la technocratie pour l’élaboration des interventions publiques – et corporative (participation privilégiée de certains intérêts organisés et formes de régulation non concurrentielle) à une gouvernance plus compétitive (faisant davantage appel au marché et régulant celui-ci par des instruments incitatifs) et partenariale (mécanismes délibératifs et de négociation).
> L’action publique menée par les acteurs publics n’étant efficace que dans la mesure où elle s’inscrit dans une action collective convergente, l’État doit donc être ouvert à la participation citoyenne. Il lui faut institutionnaliser la concertation et la formaliser au fur et à mesure que les acteurs collectifs apprennent à la faire fonctionner. Il doit être capable d’animer le débat public et de mobiliser les acteurs collectifs autour d’enjeux stratégiques et de dégager des compromis, voire des consensus.
2.2 Un État stratège
> Devant gouverner dans la complexité et la pluralité des acteurs, l’État doit se faire facilitateur, et apprendre à mieux composer avec les forces du marché, avec l’entreprenariat collectif, avec tout ce qui est expression de vie citoyenne et de démocratie. Mais il doit également assumer un leadership. Si les groupes d’intérêts et les organisations de défense doivent pouvoir réaliser leurs propres recherches et participer aux discussions et aux négociations permettant de construire l’intérêt général, l’État doit de son côté se faire stra-tège.
> Qui dit État stratège dit volonté d’anticiper et de construire un avenir plutôt que de subir celui qui serait imposé par l’évolution des choses ou l’action des autres acteurs. Un État stratège implique des capacités d’analyse (capacité de faire le tri entre facteurs stratégiques et événements triviaux qui sont le lot du quotidien), de créativité et d’apprentissage pouvant seules permettre d’initier des politiques publiques cohérentes et structurantes.
> Afin de pouvoir se consacrer aux enjeux stratégiques, un État stratège se doit d’être moins engagé dans l’opérationnel et de laisser par conséquent plus de place aux autres acteurs (municipaux, privés, associatifs) dans l’exécution et la mise en oeuvre. Cela ne veut pas dire que ces derniers ne sont que des exécutants puisqu’ils doivent non seulement participer aux délibérations et aux négociations générales, mais également traduire les orientations centrales dans des activités concrètes adaptées aux caractéristiques de leur milieu. Mais cela signifie que, pour sa part, l’État se doit d’être moins un prestataire de services publics individuels que le garant des biens collectifs, qu’il doit s’investir moins dans les fonctions opérationnelles que dans les fonctions stratégiques de pilotage et de contrôle. De plus, l’analyse des expériences conduites actuellement dans de nombreux pays démontre que, s’il y a un peu partout une tendance à une plus grande décentralisation, celle-ci coexiste paradoxalement avec une plus grande normalisation.
3. LES ATOUTS DU QUÉBEC
> Dans la culture politique qui prévaut au Québec depuis 1960, l’État occupe une place importante, ce qui le distingue des autres États nord-américains et présente des similarités avec les modèles européens. À cela plusieurs rai-sons : choix d’un État développeur ou interventionniste lors de la Révolution tranquille, nécessité d’un État protecteur d’une nation minoritaire en Amérique du Nord, rôle identitaire exercé par l’État québécois qui jouit d’un fort degré d’attachement, valorisation de la coopération et de la solidarité qui a historiquement marqué le tissu social québécois et qui explique la perception de l’État comme instrument de développement et de partage.
> Le modèle québécois s’est construit sur la base de l’égalité et de la confiance : la Révolution tranquille a été beaucoup plus qu’un simple rattrapage à coup d’interventions étatiques et de luttes populaires. Elle a changé notre culture politique et refondé nos institutions. Elle nous a sorti de la méfiance généralisée envers la politique et les institutions publiques qui minait notre société et nous empêchait d’utiliser l’État, cet outil formidable permettant de créer le collectif. Elle a permis de corriger les inégalités durables qui existaient entre francophones et anglophones.
> Si le Québec a connu en 1960 le passage d’un État minimal à un État beau-coup plus institutionnalisé et interventionniste, l’État a appris à partir des an-nées 1980 à faire avec d’autres. Parallèlement à la crise financière et budgé-taire et à la montée de nouveaux acteurs économiques et sociaux, il y a eu une prise de conscience des limites des capacités de l’État à agir sur des pro-blématiques de plus en plus complexes. D’un État développeur, passable-ment interventionniste, on est passé à un État davantage facilitateur et accompagnateur. La pratique de la concertation s’est développée à travers sommets et forums, mais sans être institutionnalisée. Un modèle néo corporatiste était déjà présent dans certaines institutions, telles la RRQ, la Caisse de dépôt et de placement et la CSST. À cela se sont ajoutées des relations partenariales entre l’État et les organismes communautaires oeuvrant dans différents secteurs (santé, services sociaux, logement social, insertion au travail, éducation populaire, intégration des nouveaux arrivants, etc.) ainsi que la création d’instances de participation citoyenne dans les réseaux de l’éducation et de la santé et des services sociaux. Les instruments de politique économique ont été revus.
> On retrouve au Québec une société civile dynamique et bien organisée : des syndicats plus enracinés, plus ouverts au partenariat et plus engagés dans le développement économique que n’importe où ailleurs en Amérique du Nord ; pas moins de 7 000 entreprises coopératives et associations productrices de biens et de services ; plus de 4 000 groupes d’action communautaire dite autonome (défense des droits sociaux et services aux plus démunis) ; 46 000 organisations sans but lucratif.
4. LA STRATÉGIE
> Avoir des objectifs clairs et partagés en matière de :
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La réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie sera portée dans le cadre d’une aventure intellectuelle originale. Un consortium de recherche va se concerter pour conduire durant toute l’année des travaux qui prendront en charge l’un ou l’autre des grands questionnement soulevés par le texte de référence lancé par Benoît Lévesque, Michel Doré, Marilyse Lapierre et Yves Vaillancourt. Co-responsables, sous la coordination de l’Institut de recherche en économie contemporaine (Robert Laplante), de la mise en œuvre d’une programmation de travail qui fera une large place aux échanges et aux débats entre chercheurs et acteurs de la société civile, les membres et participants de ce consortium de recherche seront appelés à faire paraître sur le site Internet des textes faisant état de l’avancement de la réflexion. Divers événements vont ponctuer le parcours qui devrait déboucher sur un grand rendez-vous public à l’automne 2010. Le consortium est formé des membres suivants : le CÉRIUM (Pascale Dufour), la Chaire du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie (Joseph-Yvon Thériault, titulaire), l’Observatoire de l’Administration publique ( Louis Côté, directeur), les Éditions Vie Économique (Gilles Bourque, coordonnateur) et de deux équipes de partenaires, dont l’une réunie autour de Denise Proulx, de GaïaPresse, et Lucie Sauvé, de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative en environnement, et l’autre rassemblée autour de Christian Jetté de l’Université de Montréal et Lucie Dumais de l’UQAM.
L’importance, pour ne pas dire l’urgence d’organiser la réflexion collective sur l’état de notre démocratie et l’avenir de notre société devrait nous interpeller puissamment. Il se présente en effet des moments qu’il faut saisir dans l’histoire des peuples quand les vieux modèles, épuisés, atteignent leurs limites et conduisent à de nouvelles impasses. Le Québec est rendu à l’un de ses moments.